LET'S TALQ - Mon interview par Manon Cauchoix
- Camille Sorel
- 11 févr. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 mars 2023
Vacances en soumission est le deuxième livre porno que Manon a lu. Cela a été une grosse claque pour elle. C’était très cru et ça faisait réfléchir, autant masturbatoire qu’intellectuel : elle ne pensait pas que c’était possible.
Dans mon roman elle a découvert une relation BDSM, elle en a ri et a finit par réfléchir à ses propres envies. Comme Hélène, la narratrice, Manon a été autant excité que curieuse, apeurée ou même choquée.
Cette interview peut se découvrir avant la lecture du roman : il y a très peu de spoil.
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M : Qui est Camille Sorel, l’écrivaine ?
C : Au départ, j’ai parlé de cul pour m’évader du monde de l’enfance dans lequel je baignais puisque j’étais professeur des écoles et maman célibataire de deux fils. Ça m’a intéressée de parler de sexualité et j’ai persisté, parce que je suis assez timide et impressionnable. Les relations humaines ne sont pas un domaine évident pour moi.
Les relations sexuelles sont des bombes émotionnelles qui peuvent me tétaniser, ce qui m’amène à me réfugier dans la sensorialité. J’ai vécu des choses très intéressantes, finalement, grâce à ça. Je suis restée à l’écoute de mon corps et de mes envies. J’ai écarté tout ce qui était d’ordre moral ou sociétal et je ne l’ai jamais regretté.
Écrire me permet, lorsque le tsunami sexuel est passé, de comprendre ce qui est arrivé, de voir les enjeux, de revenir dessus posément.
En écrivant Vacances en soumission, je me suis inspirée de choses vécues mais aussi vues ou entendues.
M : Tu peux présenter ton roman ?
C : C’est un roman raconté à la première personne par Hélène, une jeune femme qui retourne au village de son enfance pour quelques semaines de repos. Elle y retrouve son amie Mel, avec qui elle a connu ses premières expériences sexuelles. Depuis le mariage de Mel avec Bruno, la relation des deux femmes s’est un peu distendue mais cette fois, dès qu’elles se revoient, les liens se renouent, y compris sexuellement.
Mel confie à Hélène qu’elle vit une relation de Domination / soumission à temps complet avec son mari. Elle est son esclave sexuelle, il est son Maître dans tous les aspects de leur vie et elle adore ça.
Pour moi, Mel et Hélène sont les deux facettes d’une même femme : la soumise en plein éclairage, grandiose, confiante, endurante… et à côté il y a aussi une femme apeurée qui se pose plein de questions : on ne peut pas faire ça, c’est de la maltraitance, c’est dégoûtant, ce type est taré, il est dangereux…
J’ai aimé avancer avec ces deux regards : le côté théâtral du BDSM et aussi une vision complètement réaliste sur ce qui est en train de se produire.
M : On sait qu’il existe un amour entre Mel et son mari. Il est un peu détaillé mais ce n’est pas vraiment le centre de l’histoire. Cet amour-là rassure parce que la relation est très impressionnante.
C : Oui, on se dit que ça ne peut pas être seulement maltraitant puisque ce couple dure et que la tendresse entre eux est réelle.
C’est une conversation qu’on a eue avec le directeur de collection. Je montrais parfois un Bruno très antipathique et l’éditeur me disait : « Attention, s’il est si salaud, comment expliquer qu’une femme comme Mel reste amoureuse de lui ? ».
M : Je me suis demandé par moments si leur relation n’était pas toxique. Est-ce que Mel le voulait vraiment, n’était-elle pas sous influence ? Les interludes où elle rassure son amie en expliquant que c’est réellement ce qu’elle veut m’ont montré que c’était possible.
C : Mel, c’est vraiment ce qu’elle veut. Elle se sent grandie dans cette relation qui la renforce et la contient à la fois. C'est une femme dont l’énergie débordante a besoin d’un cadre. Elle a aussi besoin de vivre des choses extrêmement fortes physiquement. Son mari, avec cette relation, apporte le cadre qui lui permet de s’épanouir.
M : BDSM c’est bondage, domination discipline, soumission et sado-masochisme. Je me demandais si tu avais décidé pour une raison particulière de montrer une femme soumise et un homme dominant. Tu aurais pu montrer une domina. Pourquoi avoir choisi que ce soit l’homme qui domine la femme ?
C : Dans ce sens-là j’avais beaucoup de choses à dire ! J’ai écrit des nouvelles mettant en scène des dominas (Améthyste dans Osez 20 histoires de sexe avec un inconnu et Le charme discret du houx dans Nouveaux contes érotiques de Noël, aux éditions de la Musardine) donc je peux écrire dans les deux sens. Mais j’ai vécu et rencontré des choses très fortes dans le domaine Maître / soumise. Des choses magnifiques et d’autres de l’ordre de l’abus.
M : Bizarrement, j’aurais été moins dérangée qu’une femme domine un homme. Là, je n’ai pas pu m’empêcher de me poser les questions : est-ce toxique ? est-ce que tout est bien consenti ? Alors que les abus existent dans l’autre sens aussi.
J’ai été également interloquée par la description des autres participants dans les scènes de pluralité. Ils ne donnent pas tous envie ! Pourquoi avoir fait ça ?
C : Je reconnais que mes personnages masculins ne sont pas présentés sous un jour favorable. C’est récurrent dans mes écrits, je ne le maîtrise pas. J’ai tout le temps envie de montrer des personnages féminins beaux et forts et me retrouve avec des personnages masculins veules et violents.
Je me suis bien amusée à décrire les « invités » de mon roman avec leurs bassesses et leurs laideurs. Ils sont dans un gang-bang, ils ont une femme à leurs pieds, ils lui font de tout, la mettent dans tous les sens, la brutalisent… J’ai trouvé marrant, à travers le regard d’Hélène de dire « quels pauvres types ».
M : Ils ne sont pas si puissants que ça, malgré le fait que ce ne soit pas eux qui soient attachés et en position de soumission.
C : C’est carrément la ligne de mon roman : le plus fort n’est pas celui qui croit l’être.
M : De toute façon, ces « invités » répondent aux ordres du Maître de cérémonie, Bruno. La narratrice utilise même l’expression de « caniches aux ordres du Maître ».
C : Oui, il les convoque, ils viennent prendre sa femme et quand il en a assez il les congédie. Ce n’est pas si glorieux de leur part.
M : On passe vraiment d’un sentiment à l’autre à travers le regard d’Hélène. De « elle est trop forte, elle gère » à « mais qu’est-ce que je fous là ». Cette dernière question, je me la suis aussi posée en tant que lectrice après la première scène collective. Hélène n’est pas bien du tout et moi aussi je me sentais mal, je me demandais pourquoi m’être infligé cette lecture, j’avais du mal à m’en remettre.
Pourquoi as-tu choisi de montrer Hélène dans l’état où elle se pose tant de questions et se sent si mal ? C’est une façon de critiquer les pratiques du BDSM ?
C : C’était important pour moi de rester sur le fil du rasoir et Hélène sert à ça. Mel représente l’imagerie très chic, le côté glorieux du BDSM et Hélène sert de balancier. Elle va parler de choses matérielles, revenir au réalisme : un lavement qu’on lui impose, les douleurs précises, le dégoût que certaines choses lui inspirent…
Certains moments ne sont pas clairs : elle y est allée volontairement et ensuite, elle se sent comme une femme qui vient de se faire violer.
M : Je me suis demandée si c’était ça le sujet, si l’on devait se poser précisément cette question en lisant ton livre.
C : Moi, je me la pose, cette question. En tant qu’écrivaine je ne pouvais pas éluder cela. Mais c’est un roman à vocation masturbatoire, il a l’usage d’un film porno, mais à l’écrit. L’objectif étant de maintenir le lecteur dans un état d’excitation il y avait un taux de scène de cul à maintenir. J’ai joué le jeu mais en même temps, j’avais envie de dire aux lecteur.ices : « je vais vous raconter des trucs hyper excitants de façon crue mais si vous pouviez réfléchir après avoir pris du plaisir, j’aurais atteint tous mes objectifs ».
M : Oui, c’est parfois ultra excitant et parfois politique, intellectuel. Je ne m’attendais pas du tout à ça, en plus d’apprendre des tas de choses sur ce milieu-là. Il y a a des disclaimers et des warnings au sein d’une fiction qui est sensée être masturbatoire, je trouve ça bien. Ton roman m’aurait beaucoup moins plu s’il n’y avait pas eu ça.
On critique beaucoup le porno visuel (et on pourrait critiquer la littérature porno de la même manière) à cause de sa représentation de la culture du viol. Ton roman permet de réfléchir à ça et je trouve que c’est sain.
Merci à Manon pour sa lecture et cette interview !
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