Hors saison
- Camille Sorel
- 28 déc. 2021
- 4 min de lecture
Je regarde autour de moi. Plus rien n’est comme avant et pourtant c'est toujours ma petite maison sur la plage, au carrelage ensablé. Le vent siffle au bord de la fenêtre, j’entends les vagues s’écraser. Ces murs qui m’abritent des embruns depuis que je suis née, je les croyais immuables et les voilà changés. Tu es venu. Et moi, je ne veux plus sortir.
Le radiateur électrique fait ce qu’il peut, nous l’avons poussé au maximum. Tu n’as pas regardé la fissure prétexte à ta visite. Je souris en repensant à nos messages :
- Samedi, j'irai à la plage. Le mur de la chambre s'abîme.
- Je serai tout près, tu veux que je regarde ?
Oui, viens.
J’étais sur le balcon, cheveux battant au vent, quand tu es arrivé. J’ai levé le bras pour te faire signe et dévalé le vieil escalier. Au bout du jardin, dans l’allée de lauriers, tu as ouvert les bras et je m’y suis jetée. Je t’ai respiré à m’en étourdir. Puis, à cause du Mistral, je t’ai dit d’entrer vite. J’ai fait chauffer de l’eau dans une casserole, au gaz, pour préparer du thé que j’ai servi dans des bols. Je viens de verser nos thés froids dans l’évier.
Assise sur une chaise près de toi, je t'ai regardé. Nous savions, tous les deux. C’était le moment. Celui que nous avions attendu et repoussé si longtemps. Tu as posé ta main sur la mienne et cette fois c’était autre chose. C’était une caresse. Douce et enveloppante. Le premier peau à peau. J’ai fermé les yeux, pour mieux sentir chacune de tes cellules sur mon épiderme. Et j’ai décidé de faire ça pour nous deux, d’oser prendre ton corps. J’ai eu raison, n’est-ce pas ?
Je t’ai dit « Viens » et je t’ai conduit vers l’unique chambre. As-tu remarqué la tapisserie à fleurs et les dessins d’enfants ? Les cannes à pêche et le panier d’osier ? Je t’ai d’abord touché. Partout. Par dessus tes vêtements. Cou, épaules, bras, ventre. Poitrine, hanches. Tu te laissais faire sans me quitter des yeux.
Puis tu m’as caressée et j’ai tremblé.
Tu as vu mes larmes. Je n’oublierai jamais la façon dont tu as dit mon prénom. On s’est agrippés, mêlés, souffles et langues. Vêtements arrachés. Des années de désir, ton sexe, bois flotté et le mien, vague salée. Je voulais tout faire, je n’avais plus le temps : te prendre dans ma bouche, t’enfoncer dans ma gorge, mettre mes mains partout, retrouver ton visage, m’écarteler pour toi, crier, te griffer et encore pleurer.
Tu es passé capitaine. Tu as posé mes bras sur le dessus de lit. De tout ton poids sur moi. Tu me tenais. Souffle court, je me noyais dans tes yeux.
Le temps s’est arrêté, je respirais à peine. Ton regard s'est durci. Le désir. Celui qui dit «je te veux ».
Ton corps sur moi, ton sexe entre mes cuisses, ta poitrine sur mes seins et tes mains sur mes bras, au dessus de ma tête. Nos visages se touchaient presque, les goélands criaient. J’ai baissé les paupières, doucement, pour dire oui. Toi, pour sceller le pacte, tu as baisé mes lèvres. Ce fut encore un premier baiser : celui des amants qui se savent. J’ai écarté mes jambes sans te quitter des yeux. Viens…
Tu as bougé à peine, ton sexe contre ma fente. Je m’écartais encore mais tu n’étais pas pressé. Ton gland glissait sur mes lèvres, de bas en haut. Puis l’inverse. Tu m’ouvrais doucement, faisant couler mon suc. Je te désirais tant que les larmes sont revenues, oh Anders, mon amour, entre. Unissons-nous et restons ainsi toujours.
M’entendais-tu supplier, âme ouverte ? Tu as placé ton mât à l’entrée de la grotte et tu as poussé. Mes lèvres s’ouvraient sur ton passage, mon vagin s’écartait pour te laisser venir, tu me pénétrais, tu prenais ta place. J’étais vide et tu me complétais. Maintenant tu étais là et tu poussais encore. Nos pubis se collaient, mes ongles dans ton dos, j’ouvrais la bouche pour réclamer ta langue, possède-moi partout.
J’attrapais tes fesses et te plaquais sur moi, j’ondulais du bassin, tu écrasais mon clitoris, je te serrais en moi. D’une main tu as lâché mon bras et empoigné mon sein. J’avais tes fesses, tu avais mon sein, nos mains étaient pleines de nos chairs, nos bouches étaient unies, nous respirions nos souffles, tu le sais, comme je t’aime ?
J’entendais les vagues, tout près, il fallait des va-et-vient. Tu as reculé à peine, je t'ai rattrapé en moi, tu es reparti en arrière, je t'ai fait revenir. Tu es revenu plus fort. J'ai crié. Ma jouissance venait. Tu as recommencé : partir et revenir plus fort. J’essayais d’ouvrir les yeux et de voir ton visage tordu par le plaisir. Nos sourires inhumains, nos râles confondus, tes vagues me fracassaient, je m’envolais en plein ciel.
Je veux que tu me mouilles comme je coule sur toi, abats-toi, écrase-moi, érode-moi.
Tu as perdu la raison et imposé ta force. Je t’encourageais, je voulais davantage, plus fort et plus profond. Viens jusqu’à ma gorge, ouvre moi comme un livre, habite en moi.
Puis je t'ai senti durcir et j'ai su que c’était là. Mon ventre s'est contracté, j'ai poussé un cri bestial. J’hululais et tu râlais. Dans tout ce fatras, j’arrivai à souffler « mon amour » et en te répandant, tu as crié je t'aime.
Et le silence. Tu es tombé sur moi, à demi mort, le souffle court. D’un sourire maternel, je te couvrais de caresses. J’embrassais tes épaules et t’effleurais à peine. Je savais que tu étais loin, je te laissais voyager. Ta main a trouvé la mienne.
De ma vulve, tu coulais et ton pénis retombait. Qu’il était beau, ainsi, mouillé et alangui.
Nous sommes restés longtemps sans parler. A chaque minute, nos visages devenaient plus tristes. Les corps ayant exulté la folie de se prendre, restait cette question, écume persistante : « Quand nous reverrons-nous ? »
- Ne m’attends pas, Hélène.
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